
Textes
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Partie 4
(Les autres parties se trouvent plus bas)
La vitre agrandissait légèrement le pourtour des dizaines de poissons rouges qui s’entassaient dans l’eau sale de l’aquarium du marché. La dame lui avait donné juste assez d’argent pour en acheter quatre.
Il se rappelle encore ce drôle de sentiment qui l’avait traversé lorsqu’il avait dû pointer du doigt les quatre spécimens choisis. Ceux qu’on allait enfin retirer de leur amoncellement gluant. À la dernière minute, pendant que le vendeur essayait d’en attraper un nouveau, que les formes brillantes se débattaient ; un tout particulier se révéla, tout noir dans cet assemblage de rouge, seulement entre sa nageoire dorsale et sa branchie gauche s’étirait un fin trait pourpre. C’est lui qu’il voulait, au même moment que sa pensée, le poisson noir entra d’un trait dans le filet, on le remontait à la surface au même moment qu’il le nommait spontanément « Encre ».
Dans un sac de plastique transparent rempli à moitié d’eau, à moitié d’air, fermée par un nœud, se dégourdissaient les poissons libérés. On pouvait sentir leur satisfaction, comme s’étirant dans les quelques gouttes de liquide qui les séparaient enfin les uns des autres. Assis dans l’autobus qui filait vers les routes de campagne, le sac déposé sur ses cuisses vibrait sous le moteur en action. Les tremblements faisaient disparaître momentanément la petite section rouge qui contrastait avec le noir d’Encre. Il avait bien avec lui trois poissons éclatants et, Encre, une tache d’obscurité mystérieuse.
Lorsqu’il franchit l’arrière de la maison ses deux amis étaient toujours au travail, affalés à la creuse de la dernière portion plus profonde de l’étang. À l’époque, rien, à l’exception d’Encre, n’avait été curieux dans cette journée, mais maintenant qu’il y songeait, plusieurs années plus tard, il était impossible de tout réaliser en l’espace de douze heures. Ils avaient beau être au cœur de cette période de l'adolescence pleine d’énergie et de force, c’était matériellement et temporellement inconcevable. Il savait aussi que ce n’était pas le fruit de sa mémoire qui avait souhaité simplifier de longues heures de travail en un seul et cohérent souvenir.
C’était elle et ce dont elle était capable.
Elle apparue curieuse, animée par l’arrivée des poissons. Il lui avait tendu le sac qu’elle avait levé bien droit, vis-à-vis les derniers rayons de soleil de fin de journée. Dans cette lumière crue, leurs écailles chatoyaient, elles étaient rouges, mais aussi oranges, jaunes même blanches. Encre était d’une couleur profonde aux reflets argentés, comme un miroir. Elle les observa durant plusieurs minutes, presque figée là. Un air neuf se dégagea, le soleil continuait de descendre vers l’horizon, amenant avec lui sa chaleur suffocante. Elle déplaça enfin son regard, elle sourit; « très bien, vraiment très bien, magnifique choix. Tu as retrouvé Encre en plus ! ».
Ce n’est que plus tard qu’il lui raconta avoir spontanément nommé Encre, lorsque le poisson s’était dévoilé à la dernière minute dans l’aquarium du marchand. Sur le coup, il n’avait pas eu les mots pour le lui dire, pour lui demander comment elle connaissait son nom et d’où venait ce curieux poisson.
Elle avait regagné la maison avec l’achat précieux. Ses deux amis s’étaient dégageaient du trou qu’ils avaient creusé, satisfaits de la pénombre fraiche qui tombait sur eux.
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Partie 3
(Les parties 1, 2 se trouvent plus bas)
Des chaises avaient été disposées à certains endroits du terrain. Devant un rosier sauvage, près d’un élégant érable japonais, aux côtés de ce qui avait été jadis un petit étang.
Il se souvient d’avoir entrainé deux amis à venir, au matin d’une journée caniculaire, creuser le trou de cet étang. La dame les avait accueillies avec des pâtisseries, brillantes au soleil, et du café noir. Ils avaient goûté la substance huileuse et amère pour la première fois en regardant leur hôte prendre différentes mesures; elle souhaitait l’étang au centre du jardin, leur répétant que c’était là qu’elle avait eu la permission de le mettre, “qu’au centre”.
Une fois les sucreries dégustées, ils avaient creusé avec acharnement jusqu’au dîner, en respectant avec minutie les délimitations qu’elle avait placées. Le soleil tapait rigoureusement sur eux lorsqu’elle arriva avec un plateau de sandwichs aux œufs, des crudités salées et un bol d’une tartinade fraiche. Dans un grand cruchon de verre, virevoltaient, entre les glaces, les fleurs bleues d’une tisane froide. Sous le large parasol, ils se rassasièrent du repas qu’elle avait préparé avec soins. Ses deux amis s’installèrent pour une sieste se souvenant que lui, malgré la fatigue et la chaleur accablante de cette journée d’été, il avait eu envie d’explorer. Il était retourné à la lumière du jardin pour contempler les floraisons d’août et les détails des plantes qui s’étiraient vers le Soleil. Il était devant une talle d’anémones roses butinée par une centaine d’abeilles lorsqu’elle était apparue à ses côtés.
Aujourd’hui et dans sa position actuelle, le dos bien accoté sur cette porte-sculpture, l’étang était non seulement au centre du terrain – et complètement ensevelis par la végétation ambiante- mais il était aussi tout à fait aligné avec la porte de la maison dans une symétrie parfaite, jusqu’alors il ne l’avait jamais remarqué. Il prenait également conscience de l’ampleur du travail qu’ils avaient dû faire, impressionné qu’en un seul jour de canicule, ils aient pu creuser un étang de trois pieds de profondeur, ajouter la toile du fond, et le remplir à partir des barils qui récoltaient l’eau de pluie des gouttières de la demeure.
Je te donne quelques sous et tu vas chercher des poissons lui avait-elle dit. Il n’avait pas tout de suite compris de quoi elle parlait, elle l’avait surpris, il ne l’avait pas du tout entendue s’approcher de lui, de la talle d’anémone et des abeilles. Elle lui répéta sa requête et déposa dans sa paume quelques pièces de monnaie.
Un retour
Partie 2
(La partie 1 se trouve plus bas)
Lorsqu’il arriva derrière la maison, ses souvenirs se dissipèrent, l’endroit était maintenant à l’abandon. Les grandes fenêtres étaient poussiéreuses, sales, de la gomme de pin s’était échappée en dégoulinant sur les vitres en motifs incertains. De petits amas de terre brune, de poussière s’étaient accumulés dans les interstices et racoins de la construction et de nouvelles pousses y prenaient racine.
Au centre du grand mur vitré se faufilait une petite porte de bois foncé. Il fallait s’approcher pour constater les menus détails de la sculpture qu’elle abritait. C’était un mandala, au centre duquel se trouvait un œil, ouvert qui regardait tout droit. Ce détail principal était entouré de lignes, de petits points, de formes géométriques minuscules qui tournaient vers l’extérieur ou vers le centre. Les motifs semblaient infinis au point qu’ils s’entremêlaient et un regard ne distinguait rien. Il fallait donc s’y attarder, et malgré les efforts, chaque fois qu’il s’y était prêté il y avait vu quelque chose de nouveau, comme si c’était toujours la première fois. La cours ayant définitivement pris des airs de ruines sauvages rendait la porte encore plus costaude et mystérieuse. En fait, bien qu’elle eût très souvent fait partie des souvenirs oniriques de sa vie de jeune adulte, il avait fini par l’oublier et, la revoir lui confirmait la teneur extraordinaire qu’il accordait à ce lieu.
Le long et étroit balcon de pruche qui parcourait le mur arrière de la maison semblait toujours bien solide. Il s’y assit, le dos appuyé sur la porte, les yeux, à la hauteur de l’œil sculpté, rivés sur l’ancien jardin. Il arpentait du regard cette multitude de feuilles, de branches et d’arbres enchevêtrés. Quels buissons avaient survécu aux années ? Quelle talle de fleurs était encore vestige de l’époque où il habitait ici, où on était encore en moyen de s’occuper du jardin ? Un léger coup de vent percuta les feuilles séchées au sommet d’un brillant érable orangé. Certaines se détachèrent et tombèrent en n’en accrochant d’autres dans un bruit croustillant.
un Retour
Partie 1
Il cogna à la porte même s’il savait qu’elle était verrouillée et que personne n’était derrière. Les arbres des alentours sifflaient avec leurs feuilles, l’air de l’automne s’était finalement déposé, il sentait la fraicheur d’octobre. Il resta debout sans bouger, comme s’il attendait. Le chêne rouge qu’il avait vu grandir, ils avaient poussé ensemble, semblait toujours un peu crispé ayant pris son ampleur en se rapprochant constamment de la maison.
Personne ne répondait, l’habitation était vide. Elle était inoccupée depuis longtemps. Il se retourna, comme s’il regagnait sa voiture, mais quitta le paillasson trop vite et bifurqua sur le sentier de désir qui serpentait le chêne, suivait le mur latéral du petit bâtiment tout droit vers la cour arrière. Que ceux qui y avaient habité connaissaient l’existence du chemin. Il disparaissait maintenant. La terre, autrefois légèrement tapée, avait laissé place à de longs chiendents sauvages. Plus personne ne s’y aventurait, les thuyas avaient gonflé et bloquaient le passage. Leurs branches vigoureuses flattaient ses bras, son pantalon, son visage, il continuait d’avancer sans trop s’en soucier. Il arriva enfin à l’arrière, là où jadis l’espace s’ouvrait sur un magnifique jardin.
Il se souvient tout à coup de ses mains ridées et du sécateur rouillé qu’elle utilisait souvent. Elle sortait en début d’après-midi, elle coupait les tiges séchées des lys, les ramifications trop longues des fruitiers et les mauvaises herbes qu’elle avait laissé grandir tout l’été. On n’avait pas le droit de toutes les arracher, elle leur répétait. Son jardin impeccable laissait place à ces espaces sauvages où aucune intervention n’était nécessaire. Secrètement, et ce, malgré tout le soin qui émanait du lieu, en dépits des successions de fleurs, des arbres assortis et bien taillés, des bosquets fournis et verts, nous étions tous amoureux de ces intervalles nonchalants où poussait pêlemêle n’importe quoi. Elle avait le don, chaque année, de savoir où les disposer, ils n’étaient jamais aux mêmes endroits, mais devenaient curieusement toujours valorisés, au centre de ses aménagements.
Ombres
Tenir allumée une chandelle aussi longtemps qu’elle souhaite bruler.
La regarder. Elle révèle les ombres des objets d’une pièce. Elles vacillent, c’est la flamme qui prédit le mouvement.
Qui prédit la flamme ?
L’ambiance d’une pièce se détermine par sa luminosité. Cette luminosité est aujourd’hui fortement déterminée par la puissance de l’ampoule électrique. La fenestration joue aussi un rôle important dans la répartition de la lumière dans une pièce.
La place est à la lumière ! Murs blancs, fenestrations immenses et multiples, éclairage inégalé (pensons aux ampoules encastrées qui s’enlignent et se répètent même à l’extérieur des nouvelles constructions). Nous illuminons ! Pourtant, les jeux d’ombres et de lumière sont au cœur de l’ambiance.
Inviter des lampes qui permettent de jouer avec l’ombre en en créant. Des lumières (ou aucune) qui respectent le sombre, l’obscurité, la nuit. Des rayons qui délimitent les pièces et laissent la place au spectre des luminosités pour inviter au mystère. Dans ces formes infinies la magie provoque l’ambiance, elle dépasse les formes matérielles de l’espace et se mêle au corps à travers les émotions, les sentiments, le bien-être, l’envie, les rêves et l’instinct. C’est ce qui engage la pièce, l’enrobe de chaleur et lui procure une richesse.
Il faut savoir prendre soin de cette magie si l’on souhaite que nos espaces soient propices au bien-être, au ressourcement et à la joie. Respecter l’ombre et l’obscurité nous permet de bénéficier des mystères dont ils regorgent.
Les chandelles sont évidentes, les lampes qui entrainent les ombres, celles qui interpellent les formes particulières lors de leur allumage. La noirceur.
« Si la lumière est pauvre, eh bien, qu’elle le soit ! Mieux nous nous enfonçons avec délice dans les ténèbres et nous leur découvrons une beauté qui leur est propre. »
Observations
Prendre le temps de bouger la lumière de part et d’autre de l’espace.
Prendre le temps d’observer les ombrages du décor en fonction des différents éclairages. Sur quel mur s’appose votre ombre? Et celle de vos invités ?
Lorsque vous vous installez pour lire la lumière pointe elle votre objectif ? L’obscurité vous entoure t’elle pour que par-delà vos pages, vous puissiez vous immerger dans l’imagination?
Où vous installeriez vous pour méditer ?
Une seule chandelle dans l’obscurité de votre pièce, vous la déposez où ?
Jouez avec la lumière ! Inviter la noirceur !
Revisiter les pièces, observer attentivement pour épurer et compléter.